lundi 30 mars 2009

Equateur : Correa face à une réélection assurée mais agitée

Trois ans d'Etat de grâce pour Correa

Le 26 avril prochain se tiendront en Equateur des élections cruciales pour l'avenir du pays. Il s'agira ce jour là d'élire les plus hautes autorités politiques du pays: les maires, les députés et le Président de la République. Ces élections avancées ont été souhaitées par l'actuel président équatorien, le polémique Rafael Correa, qui espère surfer sur une vague de popularité impressionnante tant par son ampleur que par sa longévité. En effet, après plus de deux ans d'exercice du pouvoir et trois plébiscites nationaux1, l'actuel résident du palais de Carondelet compte avec 70% d'opinions favorables et semble certain d'être réélu2. L'enjeu est davantage de savoir s'il sera réélu dés le premier tour à la majorité absolue ou si il sera mis en ballotage par une opposition qui parait aujourd'hui impuissante.

La semaine dernière lors du lancement de la campagne du Mouvement de Rafael Correa, Alianza Pais, à Quito, ses partisans scandaient: «Un solo turno! Un solo turno!» (un seul tour ! Un seul tour !). Néanmoins, la tension monte à l'approche du scrutin et les sujets de polémiques se multiplient.



Un Président populaire mais polémique


Rafael Correa est quotidiennement critiqué dans la presse pour les propos lapidaires et insultants qu'il tient à l'égard de l'opposition « médiocre » , des médias « corrompus » ou des élites économiques «pourries», qu'il vilipende chaque semaine dans son programme télévisé «Cadena Radial». Ce programme est l'équivalent équatorien du programme télé d’Hugo Chavez au Venezuela qui s'offre chaque semaine une tribune politique sur la chaine publique dans son programme « Alo Presidente ». Les liens qui unissent Correa à Chavez sont aussi l'objet de nombreuses suspicions. Il y a deux jours, le journal El Comercio consacrait une page entière à l'un des plus fidèles et « mystérieux » conseillers de Correa: le vénézuélien Jaime Sanchez, connu pour être un proche de Chavez.

On accuse en outre l'actuel président de personnaliser la pratique du pouvoir et de représenter un danger pour la démocratie. Le premier mandataire équatorien s'est permis de critiquer durement des décisions de justices, remettant ainsi en cause l'indépendance de cette institution. A ce titre, la possibilité offerte par la nouvelle constitution de réélire le Président de la République à réveillé le spectre de l'autoritarisme au sein d'une démocratie encore fragile qui a connu son dernier coup d'Etat militaire il y a à peine six ans.

Cette crainte n’anime pas uniquement les milieux de droite ou les élites économiques mais aussi les mouvements écologistes et les ONG. Il y a un mois, le gouvernement de Correa à retiré la personnalité juridique a l’ONG équatorienne Accion Ecologica au motif que celle-ci était officiellement recensée comme ONG de santé alors qu’elle travaille dans le domaine de l’environnement. Alors que le gouvernement n’a de cesse de répéter que cette mesure est une simple application d’une règle administrative, les milieux écologistes y voient une sanction autoritaire contre une organisation qui avait sévèrement critiquée la politique « extractiviste » de Correa3.



Le « Chauvingate »


Une nouvelle polémique susceptible d'affaiblir le pouvoir en place a éclaté le 19 février 2009. Ce jour là, le pouvoir en place a été éclaboussé par un scandale qui liait un fonctionnaire du Ministère de l'Intérieur, le sous secrétaire Ignacio Chauvín, à la guérilla des FARC. En effet, cet ex-fonctionnaire – il a démissionné depuis – reconnaît avoir rencontré à sept reprises Raul Reyes, ex-leader de la guérilla colombienne, et avoir arrangé un rendez vous entre ce dernier et le Ministre de l'Intérieur de l'époque, Gustavo Larrea, qui a lui aussi démissionné depuis. L'affaire a connu un autre rebondissement il y a trois semaines quand le responsable de l'enquête a été retrouvé mort à son domicile... Rafael Correa a autorisé depuis la mise en place d'une commission d'enquête indépendante chargé d'éclaircir « l'affaire Chauvín».

Le spectre d'une « narco-politique » à la colombienne ou à la mexicaine a été immédiatement récupéré par l'opposition, comme en témoigne un slogan de campagne de l'ex-président putschiste Lucio Gutiérrez: « Non à la narco-politique. Non à la narco-campagne 4» . Guttierez a en outre décidé d'intenter un procès contre l'ex Ministre Gustavo Larrea pour se poser en pourfendeur de la corruption devant tous les équatoriens5.


Correa et les Sept nains


Malgré ces accusations, Correa reste très largement favori car ses mesures sont populaires mais aussi parce que l'opposition emploie une stratégie inefficace. En effet, tous les candidats de l'opposition tentent de saper la crédibilité de Correa pour se poser en alternative raisonnable face aux dérives du pouvoir. Cette stratégie est inefficace pour deux raisons. La première est que les candidats de l'opposition ne disposent pas de la crédibilité ou de la popularité nécessaire pour attaquer un Président qui est soutenu par plus de la moitié du pays. En effet, on voit mal comment les critiques formulées par un candidat qui recueille à peine 10% d'opinions favorables (Guttierez ou Noboa) peuvent atteindre un Président si populaire. Il faudrait recentrer la campagne sur le programme des candidats et leurs propositions alternatives. La deuxième raison est que la crise économique, période hautement anxiogène, profite à Correa qui réaffirme le rôle d'un Etat fort et interventionniste, ce qui rassure les électeurs.


Pour ces deux raisons, la campagne présidentielle peut faire penser au conte des frères Grimm avec Correa dans le rôle de Blanche Neige et l'opposition dans le rôle des Sept Nains6.

Le scrutin s'annonce donc comme une formalité pour le jeune et ambitieux président équatorien qui profite d'une vague de popularité sans précédent et se trouve face à une opposition divisée et sans réelles propositions. Cette campagne révèle néanmoins les fragilités du style de gouvernement de Correa, mélange d'audace, de provocations et de populisme ; ce qui à l'avenir pourrait entrainer sa chute s'il n'apprend pas mieux à dominer l'ivresse du pouvoir.

Alexandre Pierrin



1 Vainqueur des élections présidentielles en Novembre 2006, il fait approuver la création d'une Assemblée constituante par référendum en Avril 2007 tandis que son Mouvement obtient 61,5% des voix à l'assemblée en Septembre 2007. Enfin, la nouvelle constitution est approuvée en Septembre 2008 avec 63% des voix.

2 Source: El diario Manabito 11/12/2008

3 Voir l’article sur la “Nouvelle loi minière”:
http://www.hoy.com.ec/noticias-ecuador/congresillo-aprobo-la-nueva-ley-minera-328402.html


4 Source: El Comercio, 03/05/2009

5 Source: El Comercio, 26/03/09

6 On dénombre en effet huit candidats à l'investiture présidentielle

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