dimanche 17 mai 2009

La politique s'invite au Salon du Livre de Buenos Aires

Du 23 avril au 11 mai, Buenos Aires accueillait sa 35e édition du Salon international du Livre sur le thème « penser avec les livres ». Avant même son inauguration, la crise faisait craindre aux organisateurs une moindre participation des Argentins et c’est dans une inquiétude croissante que s’est déroulée la première semaine[1]. Mais la « Nuit de la Ville », le 30 avril, a donné le coup de publicité qu’il manquait à la Feria. Cette fête culturelle gratuite a duré toute la nuit, proposant spectacles de musique, de danses, récitations de poésie, présentation de livres et jeux.
Pourtant, avec 80 000 visiteurs en moins, la Feria n’aura pas battu son record de l’an dernier. Sur 19 jours la participation du public a baissé de 6 à 7%
[2] par rapport à l’année dernière, attirant 1.160.000 visiteurs. Le président de la Fondation El Libro, Horacio García l’explique non seulement par la crise mais aussi par la peur de la grippe porcine, certaines personnes portant d’ailleurs un masque lors de la Nuit de la Ville.

Le titre le plus consulté de la Feria – et donc était mis en évidence dans la plupart des stands – a été Les veines ouvertes de l’Amérique latine, de l’uruguayen Eduardo Galeano. Il faut dire que la conjoncture s’y prêtait. Le 14 avril, Chavez en offrait un exemplaire à Barack Obama. Ce livre, selon l’auteur, « montre la réalité historique de notre Amérique, et nous offre une vision claire du contexte politique de l’Amérique (…). À lire ces lignes (…) nous voyons l’énorme perte que nous avons subite dans le courant de notre civilisation, nous pouvons observer différents personnages et attitudes qui peu à peu nous ont mené de l’opulence moyenne à une pauvreté qui menace de se convertir en misère »
[3]. Un premier signe de l’immixtion de la politique dans la Feria.

À quelques mois des élections législatives, le climat politique pouvait se mesurer dès l’acte d’inauguration, où les faits et gestes de chaque invité prenaient une dimension dramatique. La Nación par exemple décrit : « Nun (secrétaire à la Culture de la Nation) s’est assis au premier rang sans saluer Mauricio Macri (le chef du gouvernement de Buenos Aires)(…) il n’y eut aucun dialogue entre les deux. Pourtant certaines sources ont dit qu’ils s’étaient salués avant de rentrer dans la salle »
[4].
La Feria a aussi été un terrain de revendications politiques, celui de professeurs, d’étudiants, de femmes, de journalistes. Dès l’inauguration, une centaine de professeurs et étudiants des écoles publiques du secondaire sont intervenus durant le discours de Macri pour réclamer des augmentations de salaires et des bourses d’étude
[5]. Le 4 mai, un débat sur le « développement de la femme dans le monde après le Sommet de Pékin de 1995 » cherchait à analyser les avancées et questions en suspens en relation à la Déclaration et Plateforme d’Action de Pékin. Le 29 avril, les journalistes intervenant lors d’une table ronde sur la liberté de la presse en Argentine concordaient tous à dire que la liberté de la presse était en sérieux danger[6]. Selon Joaquín Morales Solá, journaliste à la Nación, « l’Argentine est dans une crise inédite de partis politiques et institutionnelle, et les journalistes occupent un lieu de pouvoir qui ne leur correspond pas. Cette absence de partis a mené ce gouvernement à être celui qui dépend le plus de la presse depuis 1983 et, contradictoirement, celui qui disqualifie le plus la presse depuis 1983 ». Autre danger qu’il relève : l’information publique est concentrée en peu de mains. Pepe Eliaschev, chroniqueur dans de nombreux médias, a ajouté que « jamais le pays n’avait vécu autant d’obscurité informative en démocratie ».
Cette même démocratie sur laquelle, pendant cinq jours, et en quasi synchronisme avec Grenoble, portait la rencontre internationale. Abordant divers sujets – penser la démocratie ; construction de valeurs dans les démocraties latino-américaines ; démocratie et inclusion sociale ; démocratie, droits de l’homme et littérature ; le futur des institutions de la démocratie dans l’Argentine du Bicentenaire – le discours des intervenants rejoignait celui des journalistes : « Le pays n’est pas encore mûr pour qu’arrêtent de se haïr la gauche et la droite. Il faut pouvoir débattre sans dégainer »
[7] disait Santiago Kovadloff. Et d’ajouter sombrement que « le Processus de Réorganisation Nationale[8] qui a pour base d’en finir avec l’autre a triomphé ».

Avec le recul, c’est un concentré des problèmes politiques en Argentine que la Feria del Libro a exposé au public. Lieu de débats et de dialogues, de visibilité des acteurs politiques, elle a permis de rassembler tous les citoyens autour d’une littérature qui englobe tous les sujets. La Feria del Libro peut ainsi être considérée comme un forum démocratique. Et le thème « penser avec les livres » était un appel à une réflexion critique sur notre temps, réflexion aujourd’hui soutenue par la lecture plus que par la télévision.

[1] http://www.el-libro.org.ar/
[2] http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1127092
[3] http://www.librosdeluz.net/2007/11/las-venas-abiertas-de-america-latina-eduardo-galeano-resumen-gratis.html
[4] http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1121519
[5] http://www.ansa.it/ansalatina/notizie/notiziari/argentina/20090424120134865956.html
[6] http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1122950
[7] http://www.lagaceta.com.ar/nota/325577/LGACETLiteraria/Sarcasmo_garrotazos_durante_Feria_Libro_Buenos_Aires.html
[8] Nom utilisé par les dirigeants de la dictature militaire de 1976 à 1983 pour désigner cette dictature.

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