jeudi 7 mai 2009

“Una ley para que hablemos todos[1]”?

La loi qui régit la radiodiffusion (Loi de radiodiffusion n°22-285) en Argentine, a été promulguée le 15 septembre 1980, au beau milieu de la dictature des généraux. Elle avait été mise en place avec l'objectif clairement affiché  de donner la possibilité au régime de contrôler les grands médias de masse. Pourtant la volonté de Cristina Kirchner de réformer cet obscur héritage, est confrontée à de nombreuses critiques.

Le projet vu par le pouvoir officiel

Une grosse campagne de communication a été mise en place par le gouvernement, pour tenter d’expliquer et de justifier ce projet (Voir le site Internet).

La principale objection invoquée à la loi en vigueur (et pas des moindre) est le fait que l’octroie de licences pour l’exploitation de canaux de radio et de télévision n’est possible que pour des entreprises privées commerciales. Cela exclut, de fait, le développement de médias alternatifs à but non lucratif, et réduit donc la portée de la parole des nouveaux acteurs apparus avec la démocratie : Médias alternatifs, associatifs, communautaires etc…

Ils invoquent aussi la vieillesse de cette loi, et donc le fait qu’elle ne se soit pas adaptée à la révolution technologique qui est en marche. En effet, il paraît y avoir une sorte de vide institutionnel autour de la télévision câblée, alors que l’Argentine est le troisième pays au monde en terme de connexions par nombre d'habitants.

Pourtant, l’argument qui va sans aucun doute apporter le plus de soutien populaire au projet, n’est autre que la proposition de diffuser tous les événements sportifs de grande importance (matchs de footballs et autres événements olympiques) sur des chaînes publiques gratuites. Jusqu’à maintenant tout était  retransmis sur des chaînes à péage.

Le projet de loi conduirait donc, selon le gouvernement, à renforcer la pluralité des médias et à en augmenter la transparence. C’est ce qui a fait dire à Gabriel Mariotto, en charge du comité fédéral de radiodiffusion, et par la même occasion de rédiger le projet: qu’ « une nouvelle loi de radiodiffusion est la mère de toutes les batailles [2]». Pourtant, loin de convaincre, il rencontre de nombreuses résistances tant dans les milieux politique, professionnel, qu’intellectuel…

Critiques et résistances

Sur ce point, de nombreux secteurs de la société argentine s’opposent à  l’ «oficialismo»:

D’une part, il y a la critique d’ordre économique émanant principalement des professionnels argentins, et notamment de la part du puissant secteur des acteurs de la TV câblée. Selon eux, il est absurde de s’en prendre à une « industrie » viable et rentable. Ainsi, pour Diego Petrecolla, directeur du Centre d’Etudes de l’Union Industrielle argentine, cette loi est « sans argument ; elle attaque un secteur diversifié, qui a des compétences ».

Plus préoccupants sont les doutes qui subsistent quant à la garantie de la liberté de la presse. Ces critiques n’avaient que peu de retentissements dans les médias et dans l’opinion publique jusqu'à ce que l’Association Internationale de Radiodiffusion (Association qui représente 17000 professions et dont la vocation première n’est pas de faire passer ce genre de message) tire la sonnette d’alarme, lors d’une réunion en présence de José Maria Insulza, secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains. Selon son président, Luis Pardo: "No hay ningún país del mundo en que las licencias a los medios privados se puedan revisar cada dos años, bajo criterios que no están objetivados en la misma ley. Hay un riesgo enorme de comprometer y afectar la independencia editorial de los medios de radio difusión. Se presta a que haya presión por parte del Gobierno”. Il souligne ici l’annonce de la mise en place d’une autorité (Autoridad Federal de servicios de comunicacion audiovisual), qui aurait pour but de contrôler l’application de loi, et qui serait nommée, en partie, par le pouvoir exécutif. Autrement dit il remet fortement en doute l’altruisme du gouvernement, et voit plutôt dans cette loi une manière de restreindre la liberté de la presse à court terme. Il faut en plus souligner que ce projet arrive sur la table alors que la campagne législative bat son plein, entraînant un climat d’extrême tension entre le pouvoir et les médias

Si elles étaient avérées, ces craintes pourraient porter un coup très dur à une démocratie argentine à la recherche d’un second souffle. Second souffle qui ne pourra passer que par plus de légitimité et de transparence du pouvoir. Cependant, comme toujours en Argentine, les commentaires, les déclarations à l’emporte-pièce fusent de partout, et l’on a parfois un peu de mal à s’y retrouver entre ce qui est fondés et ce qui ne l’est pas…

D’un point de vue personnel : J’ai assisté, depuis près de deux mois, à la recrudescence des débats et conférences traitants de ce sujet au sein de l’Université de Buenos Aires. Le monde académique semble, en tout cas, de plus  préoccupé par cette réforme



[1] C’est le slogan de la campagne officielle: “Une loi pour que nous puissions tous parler”. Il traduit la volonté de faire passer un message sur la democratisation des médias

[2] Interview accordé à LA NACION le 13 avril 2008

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