lundi 11 mai 2009

Terrorisme

Depuis un peu moins d’un mois, la Bolivie vit un scénario digne des meilleurs blockbusters hollywoodiens. Le 15 avril 2009, un attentat fut perpétré à Santa Cruz contre la maison du cardinal Terrazas, important personnage de la vie politique et religieuse « cruceña » (de Santa Cruz) et connu pour ses prises de position contre le gouvernement d’Evo Morales. Le religieux fut sain et sauf, ne se trouvant alors pas dans son lieu de résidence. Ce qui n’empêcha pas l’ensemble de la classe politique de logiquement condamner la tentative d’assassinant, les médias l’interprétant comme une énième conséquence de l’atmosphère délétère dans laquelle est plongée la Bolivie depuis quelques mois.

La logique voulait que des partisans du MAS aient perpétré l’attentat suite aux prises de position du cardinal et aux « révélations » (de longue date) d’Evo Morales sur son athéisme (ayant provoqué pas mal de remous dans le pays) accompagnées de la proclamation dans la nouvelle constitution de la Bolivie en tant qu’Etat laïque.

Deux jours plus tard, spin off incroyable, la police lança l’assaut sur un hôtel de Santa Cruz (« Hotel de las Americas »), tuant trois individus et en capturant deux. L’incompréhension, le flou total a primé pendant les deux jours suivants. La version officielle a d’abord fait état d’échanges de coups de feu (et donc de légitime défense de la part des forces gouvernementales) jusqu’à ce que le témoignage du gérant de l’hôtel ne contredisent le discours officiel. La suite nous a appris qu’il n’y avait effectivement pas eu de coups de feu, que les hommes avaient été abattus alors qu’ils dormaient (avec des armes gros calibres … sous l’oreiller – voir la photo hallucinante de Rozsa ci contre, montrant que les soldats ont d’abord pris des photos avant de tirer !).

S’en suivirent deux semaines faisant état d’une situation digne d’un vaudeville. Chaque jour, une nouvelle révélation venait donner une tout autre envergure à l’affaire. Ainsi, on a appris rapidement que les trois tués furent irlandais, hongrois et croates (l’un deux ayant jusqu’à trois nationalités). Ce qui souleva logiquement les interrogations des Etats en question, qui eurent dans un premier temps une réponse plutôt sèche du président Evo Morales (pour finalement se rétracter sous les pressions au bout de quelques jours). De fait, la rhétorique étatique s’est immédiatement orientée vers le terrorisme, Evo Morales affirmant dès le départ que les « terroristes » planifiaient de l’assassiner. En quelques jours, toute la Bolivie a appris l’existence d’un nouveau mot :magnicidio (soit la volonté de vouloir assassiner le chef d’Etat). Il est difficile de relater le flou dans lequel était plongé le pays, certains points n’ayant par ailleurs toujours pas été éclaircis (quel est le rapport entre une tentative d’assassinat un clerc foncièrement à droite et la volonté de tuer un président socialiste, par exemple ?)

Petit à petit, les médias révélèrent le passé du « chef de la bande » : Eduardo Rózsa-Flores. Ledit homme était plus qu’un mercenaire. Bolivien, Croate, Hongrois, catholique puis juif puis musulman, le terroriste a aussi été journaliste (à La Vanguardia, rien que ça), réalisateur, acteur (dans un film remarqué à l’époque et biographique). Encore plus incroyable, il avait donné une interview à la fin de 2008 à un journaliste hongrois. Celle-ci ne pouvait être diffusée que s’il venait à disparaître (une sorte de témoignage posthume). Jamais la réalité n’a autant dépassé la fiction.

La suite fut non moins agitée. Après la surprise initiale, on commença à mener l’enquête. D’un côté, un enquêteur (fiscal) fut nommé par la justice : Marcelo Soza. Celui-ci est aujourd’hui très controversé, étant actuellement sous rien de moins de six… chefs d’accusation. Ce qui n’a pas empêché le corps judiciaire de lui confirmer son soutien. D’un autre côté, une commission de parlementaire s’est saisie du dossier et mène parallèlement l’enquête. Conséquence : un certain flou règne autour des avancées du dossier et sur la personne vraiment en charge.

Au niveau politique, « le terrorisme cruceño » n’a rien arrangé. L’enquête a démontré que Rozsa voulait constituer une milice pour, selon lui, « défendre » Santa Cruz. Et qu’à terme, l’objectif était l’indépendance.

Il n’en fallu pas plus pour raviver les questions brulantes de l’autonomie des quatre départements de la demi-lune. De fil en aiguille, l’enquête a directement lié l’élite politiquecruceña au cas de terrorisme, le gouvernement et le fiscal allant même jusqu’à mettre en cause … le préfet de Santa Cruz (soit la plus haute autorité de la région), sans oublier les principaux entrepreneurs, d’autres personnages emblématiques (comme le vice président d’un des deux clubs de foot de la ville), ou encore une ONG bolivienne. Concrètement, l’enquête a situé le quartier général des « terroristes » au même endroit que le QG de l’opposition de Santa Cruz demandant l’autonomie. Rapidement, le fiscal Soza a affirmé que les élites ont soutenu financièrement les mercenaires, permettant même leur venue (précisons que le propos est simplifié à l’extrême).

Il y a deux semaines, Evo Morales a mis en cause la porosité des frontières (tous les miliciens étant entrés illégalement sur le territoire bolivien). 40 % de l’armée a été envoyée à Santa Cruz pour les « contrôler ». L’opposition dénonça bien sur une manière détournée de mettre un peu plus la pression sur les autorités. C’est d’ailleurs toute la rhétorique des autonomistes qui abonde dans ce sens, accusant le gouvernement de profiter de l’aubaine pour tenter de les assommer définitivement. Certains analystes politiques dénoncent aussi une politisation de la justice, remettant en question son indépendance. S’en suivit une levée de boucliers des 4 départements, constituant chacun des comités de défense des droits de l’homme censés contrôler et limiter les pleins pouvoirs de Soza et des députés dans l’enquête. Le gouvernement n’y va d’ailleurs pas de main morte, accusant à tout bout de champ l’opposition autonomiste de « traitre de la patrie » voire affirmant qu’on a voulu créer … un nouveau Kosovo (ce qui mena les opposants à dire que s’il s’agissait là d’un nouveau Kosovo, alors Morales n’était rien de moins que Slobodan Milosevic).

Mais malgré les nombreuses dénonciations de l'opposition, les faits sont là : une partie des autonomistes a fait le choix de la violence. Ainsi, Carlos Alberto Guillén, vice président du club de foot Blooming s'est porté garant pour Rozsa lors de l'achat d'une voiture et a payé la première semaine d'hotel aux cinq mercenaires.

J’ai tenté de résumer au mieux les faits de ce dernier mois. La tache est pour le moins ardue, étant donné les « cataclysmes médiatiques » à répétition.

Du côté de l’analyse politique, on peut finalement discerner deux types d’opposition en Bolivie. « L’opposition horizontale » est de type parlementaire, droite/gauche, idéologique, on a pu l’observer lors du vote de la loi électorale transitoire.
Les évènements récents mettent en scène une « opposition verticale », soit une opposition entre le national et le régional, où les enjeux ne sont pas les mêmes.
Le préfet Rubén Costas, mis en cause, a par exemple déclaré dans La Prensa du 5 mai 2009 que le modèle politique cherché par Santa Cruz est le socialisme et plus précisément la social-démocratie. Evo Morales ou pas, les autonomistes s’opposeraient à quelque gouvernement que ce soit, si celui-ci est contre l’autonomisation de Santa Cruz. Pour être allé récemment dans cette ville, il est vrai que l’autonomie est une revendication qui va bien au-delà de la différenciation politique et qui est réellement percevable partout (sur les édifices, dans les noms des autorités, dans les conversations – voir photo personnelle ci contre). Les revendications autonomistes de datent pas d’hier, elles ont d’ailleurs partiellement mené à la démission de Carlos Mesa en 2005 (de paire avec les mouvements sociaux). On assiste néanmoins aujourd’hui à ce qui est surement un des affrontements les plus violents entre l’Etat central et les régions les plus riches de la Bolivie. Le tout sur fond de polar , de conspiration et de grandes controverses.

6 commentaires:

  1. C'est une histoire effectivement très compliquée, mais on sais, quand même une chose: Eduardo Rózsa-Flores est un sympathisant de la media-luna, tant dans le contexte yougoslave que dans le contexte bolivien, tout en étant un mercenaire extrêmement dangereux.

    On peut déjà éliminer l'idée d'un coup monté de toute pièce par le gouvernement. Ce personnage est venu en Bolivie soutenu par des gens proche des séparatistes de Santa-Cruz. Maintenant, la question est de savoir pourquoi.

    Il y a deux théories qui s'affrontent: dans un cas, ils seraient là pour entraîner des milices pour permettre une guerre civile, un peu à l'image de la guerre de sécession au USA ou du morcellement de la Yougoslavie.
    Et dans l'autre cas, ils chercheraient juste à tuer le président et le vice-président (ainsi que des personnalité de la media-luna pour en faire des martirs).

    J'ai de la peine à croire à la première hypothèse. Depuis que Evo Morales est au pouvoir, on nous promet chaque mois une guerre civile. En fait, le rapport de force n'a jamais été en faveur de l'opposition. L'armée est chouchoutée par le gouvernement et ne peut pas accepter un acte de sécession. Et en même temps, tous les pays voisin soutiennent Evo Morales.

    Mais plus que tout, les gens de l'Amazomie sont pacifiques et s'intéressent peu à la politique. En fait, les seuls qui s'organisent en milice, c'est les fils des européens (dont un partie vient du nazisme allemand et croate). Pour la masse, ils ont principalement des fils de "colla" qui veulent s'intégrer et échapper au racisme en discriminant leur propre "race". En cas de guerre civile, l'oligarchie blanche n'est même pas sûre de pouvoir tenir Santa-Cruz et sa propre population, qui est majoritairement "colla". (un gag leur faisait dire, avec l'accent camba: tous les collas dehors, a part papa et maman)

    On l'a vu en septembre, où Evo Morales a interdit à sa base sociale, elle tout a faite prête à mourir pour son président, de s'approcher de Santa-Cruz (ils ont juste bloquer les routes autour de la ville). Même l'armée n'a pas eu besoin d'intervenir, ce qui montre bien leur faiblesse.

    Un seul massacre à eu lieu, au Pando, et l'armée a facilement pris le contrôle du département, malgré les paramilitaires à la solde du préfet (avec un mort de chaque côté). Je tiens à préciser que ce préfet, Leopoldo Fernandes, était ministre de l'intérieur du Général Banzer, ce qui en fait un grand connaisseur des manoeuvres occultes, mais il n'a pas pu corrompre les militaires et le gouvernement ne l'a pas laissé filer entre les mains de la justice à Sucre (on se demande toujours combien il leur a donné pour avoir leur soutient).

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  2. suite et fin:

    Maintenant, l'autre hypothèse, qui, elle, me semble bien plus crédible. La question est la suivante, que pourrait se passer, dans le cas de la mort du présidant et du vice-présidant?

    J'ai bien peur que le MAS ne resterait pas uni très longtemps: ce parti est un four-tout idéologique et chaqu'un se considérerait l'héritier légitime. Là, il tient grâce à la figure d'Evo Morales. Et le seul qui pourrait éventuellement trouver un moyen d'éviter la fracture, actuellement, c'est Garcia Linera.

    En début d'année, nous avons été surprit par la reconduction du président du sénat: normalement, une autre personne de l'opposition devait entré, mais plus modérée, capable de travailler avec le gouvernement. Il est étrange que ces modérés ont fini par soutenir Ortis, pour continuer la politique du pire. Mais le président du sénat est aussi important en cas de mort des président et vice-président de Bolivie: c'est à lui que revient le trône.

    Contrairement à ce que dit Evo Morales, je pense que sa mort, ainsi que celle du vice-présidant serait très favorable à l'opposition. Ortis se retrouverait présidant, partirait à Santa-Cruz avec les députés de l'opposition. En fin de compte, la média-luna serait tranquille et c'est l'ouest du pays qui serait en proie à des conflits violents entre les plus modéré du MAS et le plus radicaux. L'armée défendrait la succession constitutionnel, mais se mettraient sûrement au service des différents préfets et chercherait à éviter une guerre civile.

    En fin de compte, l'opposition, qui aujourd'hui n'a pas de candidats crédible, se retrouverait tous derrière Ortis. Et c'est le MAS, qui aujourd'hui est uni derrière Evo qui se retrouverait décapité.

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  3. Merci pour l'éclairage ! Et l'exercice de "politique fiction" (c'est pas du tout péjoratif hein). Mais Evo est toujours bel et bien là. Et vu l'Etat de l'opposition, il le sera encore en décembre. Pour ce qui est de Garcia Linera permettant d'empêcher la fracture, je ne suis pas convaincu. Les statuts du MAS son claires : un indigène originaire en président, un "criollo" en vice président. Raison pour laquelle d'ailleurs Loayza a quitté le MAS pour se présenter aux prochaines élections (il voulait être vice président)...

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  4. Je vois qu'on est d'accord. Seul sa mort pourrait empêcher Evo de gagner les élections de décembre.

    Par contre, en se qui concerne le MAS, ce n'est pas du tout un parti qui peut facilement survivre à la chute du chef. Il n'a pas vraiment d'idéologie propre, est rempli d'opportunistes et de traîtres, et ses statuts peuvent facilement changer.

    Actuellement, si Evo Morales meurt, Garcia Linera devient président de Bolivie, jusqu'au élection. Et comme il a des grands talents de conciliateur grâce à sa capacité de synthèse, je pense qu'il serait capable de transformer le MAS en un vrai parti politique. Je le pense, aussi, suffisamment intelligent pour laisser une autre personne comme candidat à la présidence et peut-être même à la vice-présidence (pour se réserver un ministère stratégique).

    Hmm, Loayza a quitté le MAS? Certains dirons que ca fait un opportuniste/traître de moins dans le parti.

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  5. J'ai quand même toujours du mal avec le mot "traitre". J'en reviens à mon "patriot act" mais je ne peux m'empêcher de penser à Evo employant à tout bout de champ l'expression "traitre de la patrie". Et forcément, ça me fait tiquer. Le MAS est l'agrégat d'un grand nombre de mouvements sociaux. L'idéologie dominante est difficilement saisissable. Chacun essaye de desservir sa petite cause et c'est vrai que ça donne un beau bordel !

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  6. en fait, le parti d'Evo Morales, c'est IPSP. Le MAS est, à la base, un parti proche du nazisme qui a disparu. Comme on ne lui a pas donner de personeria juridica, Evo Morales a acheté? recu? négocié? ce sigle.

    IPSP, c'est juste un Instrument Politique pour la Souveraineté des Peuples indigènes, un nom qui dit bien ce qu'il est (effectivement four-tout). Mais le mouvement s'est incarné en Evo Morales, il est devenu une sorte d'icône.

    Le terme de traître, c'est pas un truc si grave. En fait, presque tous les politiciens boliviens peuvent facilement glisser d'opportuniste à traître, puis traître à la patrie. Evo Morales et Garcia Linera semblent au dessus de ca, mais pour les autres du MAS, c'est un vrai panier de crabe.

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